Réforme des collectivités territoriales – UE 2010
Cette réforme est préparée depuis plusieurs mois par le gouvernement sur la base d’un rapport commandé par Sarkozy à Balladur. Elle vise officiellement, sous couvert d’efficacité, de transparence et d’économies, à redistribuer les rôles et les compétences entre les différentes collectivités territoriales qui existent : communes, communautés de communes, cantons, département, région...
Mais son but évident est de baisser encore la dépense publique non directement source de profit, de dépecer un peu plus ce qu’il reste de services publics pour mieux offrir des marchés nouveaux aux entreprises.
Pour cela l’objectif est de retirer nombre de compétences aux élus et d’accroître leur dépendance, tout en réduisant fortement leur nombre. Entre autre avec la création des élus territoriaux dès 2014, qui désormais siègeraient à la fois au conseil régional et au conseil général, ce qui non seulement remettrait en question ces deux collectivités mais feraient de ce nouveau type d’élus des ultra professionnels de la politique, encore plus éloignés de la population, des salariés, des habitants des quartiers qu’ils ne le sont aujourd’hui (et c’est pas peu dire...).
En même temps, la réforme prévoit la suppression de l’élection à la proportionnelle, excluant ainsi l’élection d’élus territoriaux anticapitalistes ou révolutionnaires.
Par ailleurs, il vise à réduire fortement le nombre de communes en poussant au regroupement des petites communes existantes dans de nouvelles super communes et les plus grandes dans des métropoles ou des pôles métropolitains, avec le même objectif de recentrer les lieux de décision et de pouvoir et de les contrôler au maximum. Les communes actuelles deviendraient de simples quartiers ou arrondissements de ces nouvelles super structures administratives et politiques.
Une organisation du pouvoir répondant aux besoins économiques, en clair aujourd’hui des multinationales
Si les 36 000 communes que nous connaissons existent depuis la révolution française, le pouvoir politique n’a cessé depuis d’être réorganisé en fonction des nécessités économiques, c’est-à-dire en clair, en fonction des intérêts de la classe des possédants.
Et si au cours en particulier des 40 dernières années le pouvoir a été pour une part « décentralisé », si les collectivités locales, de la commune à la région en passant par le département, ont acquis des pouvoirs nouveaux, des compétences plus étendues et des budgets propres, ces collectivités -toujours sous le contrôle de l’Etat- ont largement accompagné l’évolution libérale et la politique visant à mettre les moyens publics au service des entreprises (au nom toujours de l’emploi, du développement économique) avec le résultat que l’on connait : exonérations à tout va, pillage des fonds publics par les intérêts privés, délégations de services publics aux multinationales de l’eau, du transport, etc... sur le dos à la fois des usagers et des salariés soumis au diktat des marchés ou plus exactement des profits.
Aujourd’hui, le projet de loi de Balladur Sarkozy vise à soumettre encore plus les régions, les départements, les communes à la logique libérale, alors même que la suppression de la taxe professionnelle accroît leurs difficultés et leur dépendance vis-à-vis de l’Etat puisqu’il peut à tout moment décider de réduire les subventions qu’il s’est engagé à verser en compensation. Sarkozy vient d’ailleurs d’indiquer depuis Brégançon que « les transferts de l’Etat aux collectivités territoriales resteront désormais stables en valeur », ce qui signifie en clair qu’ils vont diminuer. Cela va se répercuter sur les emplois territoriaux, leur précarité toujours plus grande, et sur les budgets sociaux. Des budgets déjà largement remis en cause, et bien des associations à qui ont été déléguées des compétences essentielles (telles celles intervenant dans le domaine social, du handicap, de l’aide à l’enfance ou à l’insertion ou encore dans le domaine culturel) sont aujourd’hui obligées d’entreprendre de vraies chasses aux subventions, aux financements pour essayer de mener à bien leurs missions, ne pas licencier ou carrément ne pas mettre la clé sous la porte.
Il s’agit donc bien d’une réforme qui est partie prenante de l’ensemble de la politique du gouvernement, pour dégager le terrain à tous les rapaces à la recherche de nouveaux marchés et de profits à réaliser.
Un des effets directs de la réforme sera l’éloignement des lieux de décision du contrôle de la population, si tant est qu’on puisse parler aujourd’hui de « contrôle » de la population. De fait, la soi-disant démocratie de proximité dont on nous rebat les oreilles est aujourd’hui
une expression bien creuse. La population, les salariés ont bien peu de contrôle sur ce que font les conseils généraux ou régionaux et guère davantage sur ce qui se décide dans les conseils municipaux... Il n’empêche, ces élus restent sensibles à un certain nombre de pressions de la part de leur électorat. Et c’est un frein, aussi tenu soit-il, pour le pouvoir et les multinationales qui voient d’un bien mauvais œil les associations, les syndicats, s’adresser et prendre à partie leurs élus dits de proximité.
Cela n’a guère empêché le dépeçage des services publics depuis 20 ou 30 ans mais on a vu des élus, y compris de droite, se mobiliser contre telle fermeture d’hôpital, contre celle de bureaux de Postes, la fermeture du greffe du tribunal, des maires se mettre en grève... Une contestation dont le gouvernement se passerait bien. De la même manière que dans la réforme HPST, la ministre de la Santé a supprimé le fait que le maire de la commune où est situé l’hôpital était automatiquement président du conseil d’administration, de même, le gouvernement veut des élus le plus à l’abri possible des pressions de la population et des travailleurs mobilisés.
Et tous les fronts sont bons pour amplifier la pression sur les élus locaux : la réforme territoriale en cours, la suppression de la TP qui leur lie un peu plus les mains mais aussi les responsabilités accrues que le pouvoir veut faire pèsent sur les maires. Ainsi la dernière sortie d’Estrosi cet été : le ministre et maire de la bonne ville de Nice qui voudrait sanctionner les maires responsables selon lui de la soi-disant insécurité dans leur ville s’ils n’installent pas de caméras de surveillance...
Débat parlementaire : crise dans la droite
Ceci étant, bien des élus -et pas qu’à gauche- font entendre leur opposition. Cette succession de mesures, et en particulier la réforme territoriale, déstabilise les élus de droite qui craignent pour leurs pouvoirs petits et grands : on a ainsi vu non seulement Raffarin, mais bien d’autres monter au créneau contre elle, ou tout au moins certains de ses aspects.
Voté en première lecture à l’Assemblée nationale en juin avec les seules voix de l’UMP (le nouveau centre s’est abstenu et PS PC et Verts ont voté contre), le projet de loi est passé in extremis au Sénat en juillet (où non seulement la gauche et le nouveau centre mais également des sénateurs UMP ont refusé de le voter) et deux de ses articles ont été rejetés : l’un qui supprime la « clause générale de compétence » qui permettait jusque là aux différentes collectivités territoriales de financer un certains nombre de projets n’entrant pas forcément dans ses
compétences strictement définies. Et l’autre article concernant le mode de scrutin pour élire les futurs conseillers territoriaux, avec la suppression de la proportionnelle et la mise en place d’un scrutin majoritaire à un tour, qui est le mode d’élection le plus antidémocratique (élus ne représentant quasi rien, impossibilité pour les minorités d’avoir des élus, et assurance de la disparition des femmes sur les bancs de ces assemblées...)
Le tout doit repasser en deuxième lecture à l’Assemblée dans les semaines qui viennent. Mais même si un certain nombre d’inconnues demeurent, entre autre sur ces articles, l’essentiel de cette réforme est clair : rendre plus efficace la politique de l’Etat et des collectivités existantes au service d’une poignée de privilégiés, soumettre toute activité au marché, à la concurrence et faire sauter tout ce qui pourrait encore constituer un frein quelconque, quelles qu’en soient les conséquences pour les populations et les salariés.
Quelques mots sur la campagne que mènent le PS et ses alliés.
Nous sommes donc bien évidemment de ceux qui contestent de façon virulente cette réforme et ses objectifs. Mais pour autant nous n’arrêtons pas notre critique à la réforme en cours qui ne fait que poursuivre une courbe engagée depuis bien longtemps.
Le Parti socialiste s’insurge aujourd’hui contre la réforme territoriale (elle est aussi à l’ordre du jour de l’UE du PS à la Rochelle...) mais ce qu’il oublie de dire c’est cette offensive du gouvernement n’entre pas en contradiction avec la politique de décentralisation dont le PS se réclame, même si elle revient sur un certain nombre de mesures mises en place par les lois antérieures dites de « décentralisation » de Deferre et Raffarin.
Ces lois et la politique qui les a sous-tendues se sont inscrites dans la préoccupation de l’Etat de se décharger d’une part croissante de ses dépenses. Cette soit-disant décentralisation a obéi à des objectifs contraires aux intérêts de la population : elle a augmenté la pression sur les collectivités locales en transférant pouvoirs et responsabilités sans les financements correspondants, elle les a mises en concurrence pour « attirer » les entreprises à coups de subventions toujours plus élevées, de mise à disposition de biens publics, de dérogations, d’exonérations... Une politique qui s’est traduite par le pillage des fonds publics par les intérêts privés et la remise en cause des acquis sociaux.
De fait aujourd’hui, de par leur dépendance, leur mode de désignation fort peu démocratique, les conseils régionaux et généraux sont les relais institutionnels d’une politique soumise aux intérêts des groupes financiers et des classes possédantes, loin de tout contrôle de la population.
On voit bien comment la politique des régions, quasi toutes à majorité PS, est localement le relais de la politique du gouvernement. Des plans dits de « relance » menés par les Régions à travers les grands travaux qui ravissent les multinationales du bâtiment ou des travaux publics, aux multiples subventions et aides aux entreprises (ex Ford en Aquitaine) qui se fait main dans la main avec le ministère de l’économie... sans parler de la délégation de services publics qui arrose les multinationales de l’eau et de l’assainissement, du transport, etc...
Quelques mots sur les 2 phases de décentralisation de Deferre (1982-83) et Raffarin (2003-04)
1982-83 : lois Deferre
Quand le gouvernement Mauroy (1er de l’ère Mitterrand) décide d’enclencher la décentralisation et d’en confier la responsabilité à Deferre, ce n’est en rien une spécificité ni française, ni du PS mais une orientation politique européenne. Des années 1970 à 2000, en plein tournant libéral des années 80 face à la crise économique, quasiment tous les pays européens vont adopter des lois de décentralisation.
Cela va se faire avec l’assentiment des différents partis de gouvernement et le soutien de nombreux élus locaux qui y voient des parts de pouvoirs supplémentaires, des compétences et des budgets nouveaux (même s’ils ne permettront pas de faire réellement face aux besoins sociaux auxquels ils sont censés satisfaire, au moment même où la crise économique aggrave les conditions de vie des couches populaires).
En même temps, les lois sur la décentralisation vont apporter un semblant de démocratie, desserrant l’étau de l’Etat et créant ce qui va être appelée très abusivement « la démocratie de proximité ». Les lois Deferre apportent une autonomie plus grande aux communes, des possibilités d’initiatives nouvelles et une réforme du mode de scrutin pour l’élection par exemple des conseils municipaux.
Concernant les départements, les lois Deferre transfèrent une part des pouvoirs jusque là détenus par le Préfet au président du Conseil général. Et parallèlement, elles font de la Région un nouvel échelon territorial à part entière.
Ces lois font largement consensus et les gouvernements qui vont suivre vont les compléter, préciser les missions des différentes collectivités locales.
En 2003-2004, les lois Raffarin (Acte 2 de la décentralisation) vont prolonger ces lois en accroissant l’autonomie financière des collectivités territoriales et en précisant et élargissant pour une part les droits des élus.
Tout cela donne le système que nous connaissons aujourd’hui : des collectivités territoriales qui s’empilent et se superposent, ayant chacune ses attributions, sa fiscalité, ses financements, ses rivalités, mais toutes dépendantes de l’Etat. l’ensemble obéissant à une même logique politique.
Un système où le personnel politique se partage les sinécures et des avantages qui pour beaucoup sont loin d’être négligeables, où les cumuls de mandats et d’indemnités ne sont pas rares, un personnel politique qui regarde rarement à la dépense et assez peu soucieux de l’intérêt général...
Cet ensemble est aujourd’hui remis en question par le projet de loi Sarkozy-Balladur. Mais loin des déclarations du gouvernement sur les dépenses qu’engendre le système actuel, l’objectif du gouvernement est uniquement de prolonger la courbe, de revoir le dispositif pour
éliminer tout ce qui peut ralentir le pillage des biens publics
Pour une décentralisation assurant le contrôle de ses affaires par la population
Alors pour notre part, si nous nous prononçons pour la « décentralisation », nous ne défendons en aucun cas le système actuel.
Du point de vue de la population, des salariés, la « décentralisation » nécessaire est celle qui pourrait leur assurer un plus grand contrôle sur l’ensemble des décisions concernant la vie économique et sociale, leur permettre de peser réellement et de participer aux choix
budgétaires et fiscaux.
Une politique réellement au service de la population ne peut que s’inscrire dans la contestation des réformes sarkosiennes mais, au-delà, dans celle des institutions mises en place dans le cadre de la Vème République et de l’Europe capitaliste. Ces institutions antidémocratiques que les gouvernements ont fait évoluer au cours des siècles en fonction des besoins de l’économie capitaliste et des rapports de forces, ne peuvent répondre aux besoins populaires et sociaux, elles doivent être abrogées.
Et tout en combattant la réforme des collectivités territoriales, nous revendiquons et militons pour la mise en place d’une véritable démocratie directe, vivante, tant au niveau des lieux de travail que des quartiers.
Une démocratie qui permette un véritable contrôle et un pouvoir de décision de la population, en particulier pour l’élaboration des budgets
à l’échelon local et régional. Cela exige non seulement la proportionnelle intégrale à toutes les élections. Et aussi le droit de vote de tous, avec ou sans papiers, quelle que soit la nationalité, « l’identité » !
Une démocratie qui s’attache à appeler chacun à participer à la chose publique, à la vie de la cité, de l’entreprise, en lien avec les organisations militantes, syndicales, associatives, que la population et les salariés se donnent.
Telles que sont aujourd’hui les collectivités territoriales, il n’est pas possible d’y mettre en oeuvre une politique au service des classes populaires sans l’intervention de ces dernières pour changer les rapports de force. Des élus anticapitalistes au sein de ces institutions ne peuvent rien sans s’appuyer sur l’organisation démocratique de la population, ses mobilisations.
Et c’est bien à cela que nous prétendons quand nous nous présentons à des élections et qui plus est quand nous sommes élus : défendre en toute indépendance les intérêts de la population, des salariés, des habitants des quartiers populaires, y faire entendre leurs voix et leurs droits, leur révolte, leurs revendications, et y relayer leurs mobilisations pour tenter d’y imposer des mesures en leur faveur.
Publié le 9 juillet 2013